L’Alsace est connue pour ses vins, ses traditions, ses marchés de Noël, mais aussi pour ses insolites noms de villes et de villages qui font l’objet de fourchelangues pour les non-germanophones ! Tout comme la Bretagne et la Corse, l’Alsace a décidé de ne pas franciser les noms de beaucoup de ses communes, influencés par la culture germanique dans la région.
En effet, la germanisation de l’Alsace a commencé dès l’époque romaine, l’actuelle région ayant été inclue dans la province de Germanie supérieure. Sont ensuite arrivés les Alamans, une tribu germanique venue de l’Est, avant que ces derniers ne soient dominés par les Francs de Clovis, qui intégra l’Alsace à son royaume. Depuis lors, la région a oscillé entre influence française et germanique.
Entre suffixes et préfixes : la toponymie !
Un petit cours de langue s’impose donc. Certains d’entre vous ont peut-être remarqué la présence de suffixes et de préfixes récurrents dans les noms de communes alsaciennes, ces derniers sont souvent issus directement de l’allemand, qui prend ses racines dans le groupe plus large des langues germaniques.
Par exemple, le suffixe “-heim” présent dans les communes de Bischheim, Schiltigheim ou encore Lingolsheim, est similaire au mot allemand “Heim”, qui signifie “foyer”. Dans ce contexte, on peut donc le traduire en “hameau” ou encore “ville”. Ainsi, la ville de Schiltigheim peut voir son nom traduit en “ville fortifiée” ou “ville protégée”, le préfixe “Schiltig-” faisant référence au germanique “skild”, qui veut dire “fortification” ou “protection”.
Cette étude est appelée la toponymie, elle permet de lier les noms des lieux à des langues, qu’elles soient disparues ou toujours parlées, notamment à des fins de mémoire. La toponymie aide en effet à reconstituer l’histoire et l’importance d’un lieu à partir de son appellation qui a évolué au cours du temps.
Voici d’autres exemples de suffixes et de préfixes composant les noms de certaines communes alsaciennes :
- « Ober » signifie « en haut » en allemand ;
- « Nieder » signifie « en bas » en allemand ;
- « Dorf » signifie « village » en allemand ;
- « Wald » signifie « forêt » en allemand ;
- « Feld » signifie « champs » en allemand ;
- « Bach » signifie « ruisseau » en allemand ;
- « Berg » signifie « montagne » en allemand ;
- « Willer » est issu du latin « villa » (signifiant maison de campagne), qui a donné « ville » en français ;
- « Statt » provient de l’allemand « Stadt », qui se traduit par « ville ».
L’allemand étant réputé pour ses mots à rallonge par les francophones, de nombreuses communes de la région n’ont pas échappé à une toponymie bien typique !
Maintenant, c’est à votre tour d’enquêter sur les villes alsaciennes et sur les origines de leurs noms ! Soyez prudents, certains suffixes changent de formes d’une commune à une autre, mais si vous y prêtez attention, vous serez peut-être capables d’en apprendre plus sur les villes et villages d’Alsace.
En attendant, nous vous avons concocté un petit ensemble de noms de communes alsaciennes originaux, qui vous feront voyager un peu à travers cette belle région !
Disclaimer : nous traitons ici les noms français des communes d’Alsace, qui peuvent être plus ou moins différents en allemand ou en alsacien !
Ichtratzheim
Situé dans la banlieue strasbourgeoise, le village d’Ichtratzheim tire son nom du suffixe “-heim”, mais aussi du nom d’une personne appelée “Ic-Strad”, un nom proto-germanique. C’est ce qu’on appelle un anthropo-toponyme, un nom de lieu issu du nom d’une personne, comme Villegaudin en Saône-et-Loire ou Montdidier dans la Somme.
Petite note d’Histoire : en 2011, alors qu’un nouveau lotissement allait se faire construire, on découvre la tombe d’une aristocrate mérovingienne avec tout le mobilier qui la composait. On y retrouve notamment des bijoux faits de métaux précieux, et une cuillère d’argent d’une grande rareté, sur laquelle le nom de la propriétaire est inscrit : Ibuda. Les Ichtratzheimois ont d’ailleurs baptisé la rue près de laquelle a été découvert le tombeau “Allée Princesse Ibuda”.
Bergholtzzell
Si vous avez bien retenu le petit cours de toponymie ci-dessus, vous devez vous rappeler la signification d’un préfixe comme “Berg-” : c’est bien une référence à la montagne ! La suite du nom de cette commune du Haut-Rhin se compose de “-holz-”, qui signifie “bois”, et de “-zelle”, venant du haut-allemand, qui veut dire “ermitage”. Le village tire certainement son nom de sa présence dans le massif des Vosges, et des forêts alentours.
Le village fût longtemps un haut-lieu pour les Chrétiens faisant le choix de l’ermitage, caractérisé par un train de vie isolé et de piété. On retrouve des traces de ce passé religieux à travers le chemin de croix dédié à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, bordé de plusieurs chapelles et oratoires, lieux consacrés à la prière.
Niederschaeffolsheim & Oberschaeffolsheim
Voici deux noms de communes plutôt originaux ! Nous l’avons vu précédemment, les préfixes “Nieder-” et “Ober-” indiquent une position géographique, respectivement “en dessous” et “au-dessus”. Il s’agirait en fait de leur position par rapport au fleuve du Rhin : Oberschaeffolsheim se situe en amont du Rhin (vers les terres), tandis que Niederschaeffolsheim est en aval (vers la mer). On peut même intégrer dans cette logique le village de Mittelschaeffolsheim, qui est positionnée entre les deux précédentes, “Mittel” signifiant “milieu” en allemand.
Notre curiosité et notre sens du travail bien fait nous poussent cependant à poursuivre notre enquête toponymique : comment “traduire” les noms de ces deux communes ? Eh non, rien à voir avec les moutons (“Schaf” en allemand) ; “Schaeff” proviendrait du latin “scaphium”, qui veut dire “cuvette” : géographiquement, une dépression du sol, qui signale généralement la présence d’une rivière. Ces communes sont en effet moins surélevées que leurs voisines ! Quant au suffixe “-olsheim”, on peut le comprendre comme « Holzheim », qu’on peut lier au bois.
Ainsi, ces deux communes pourraient voir leurs noms traduits littéralement en : « Cuvette boisée en aval du Rhin » et « Cuvette boisée en amont du Rhin »… Beaucoup moins attrayant n’est-ce-pas ?
Scharrachbergheim-Irmstett
Si un jour vous rencontrez un.e des 1200 Scharrachbergheimois, il ne fait aucun doute qu’il ou elle sera impressionné.e si vous savez décortiquer le nom de leur commune ! Cette dernière est née en 1975 de la fusion de Scharrachbergheim avec Irmstett, donnant ce nom à particules qui a de quoi étonner.
Le nom de Scharrachbergheim fait référence à un village de montagne à travers le suffixe “-bergheim”, “Berg” signifiant “montagne” en allemand. Quant à Irmstett, son nom est issu d’une légende : celle de la fille de Dagobert II, roi des Francs d’Austrasie entre 676 et 679. La dénommée Irmina serait souvent allée se recueillir dans une forêt ; elle y aurait fait ériger une petite chapelle. On nomma ce lieu “Irminastätte”, qui serait devenu Irmstett, avec le suffixe “-stett”, provenant de “Stadt”, “ville” en allemand : la ville d’Irmina.
Fin du voyage en terres rurales d’Alsace
Entre toponymie et histoire, cette virée alsacienne vous aura certainement appris quelque chose sur l’origine des noms de villages d’aujourd’hui, mais aussi sur des morceaux d’histoire, parfois oubliés, de notre belle Alsace !
Maintenant, c’est à votre tour : allez chercher la toponymie des noms des communes d’Alsace qui font souvent polémique à cause de leur longueur ou de leur composition : Breuschwickersheim, Vœgtlinshoffen, Pfalzweyer.
Article rédigé par Baptiste Salaün, rédacteur au Strassbuch